Quand ma fille de 3 ans se cogne, elle me demande un pansement, même s’il n’y a pas de plaie.  Dans son esprit, le pansement guérit, donc soulage la douleur : il a un effet placebo sur elle.

Puisque je veux son bien et n’ait pas d’alternative, je n’ai pas de raison de le lui refuser. Et pourtant, quelque-chose me retient de le faire, je ne me sens pas à l’aise…

Parce qu’en lui mettant ce pansement, je vais à l’encontre de ma certitude que le pansement n’est pas un antalgique et qu’il est inutile en l’absence de plaie. Sur le plan moral, j’ai l’impression de faire du gaspillage et d’entretenir un mensonge… 

Selon mon état d’esprit du moment, il m’est arrivé de le lui refuser pour cette raison, ou d’accepter, sans avoir l’impression d’être incohérent… parce qu’avant de penser à cet exemple je ne me suis jamais rendu compte de ce paradoxe !

L’effet Placébo a deux visage : celui un pouvoir formidable améliorant gratuitement notre qualité de vie et l’efficacité des traitements médicaux, et celui du mensonge, de l’illusion et de la duperie.
Et l’histoire de sa découverte


Le placebo, fruit défendu de la genèse de la médecine moderne

Imaginez-vous à la fin du 18e siècle. La révolution se décline sur tous les plans : politique, industrie et science. Le progrès et l’innovation enthousiasment les bourgeois et aristocrates de l’occident.

Vols en ballon, machines à vapeur, phénomènes électriques… les inventions sont souvent présentées au public ou deviennent des attractions dans les salons privés.

La médecine change aussi, mais les découvertes qui vont la révolutionner restent à venir : la naissance de la chimie pharmaceutique, l’importance de l’hygiène et le rôle des germes dans les infections n’arriveront que dans les décennies à venir.

En ville, les hôpitaux sont toujours des mouroirs et dans les campagnes, le peuple doit encore s’en remettre aux rebouteux, barbiers et autres guérisseurs.

Ce terrain est favorable à l’émergence de médecines alternatives, comme le magnétisme animal ou l’homéopathie, mais profite surtout aux marchands de remèdes miracles aux apparences révolutionnaires.

Le placebo : inventé pour guérir du charlatanisme

Une des plus fabuleuse escroquerie de pseudo-médecine fut sans doute le tracteur de Perkins? Inventés vers 1895 par le médecin Elisha Perkins, il s’agissait d’une paire de baguettes dont l’alliage spécial avait selon ce dernier le pouvoir de “puiser le fluide électrique nocif à l’origine de la douleur”.

Toute ressemblance avec le jargon pseudo-scientifique utilisé pour vendre des milliers de produits “bien-être” de nos jours serait purement fortuite.

Ce produit connut succès rapide aux États-Unis, et niveau marketing ils n’ont aucune leçon à recevoir : sa publicité revendiquait 5000 guérisons, certifiées par huit professeurs, quarante médecins et trente curés. Le président lui-même aurait été conquis et acheté ces baguettes, subjugué par leur efficacité.

Un tracteur qui a pris des bâtons dans les roues

En 1799 le fils de l’inventeur vint à Londres pour conquérir le marché britannique. Il fit des démonstrations publiques et de la publicité dans le quotidien The Times, et le produit connut là aussi un rapide succès. Mais le vent tourna quand ce produit attira l’attention d’un certain médecin nommé John Haygarth, qui était scandalisé par le prix demandé et surtout pas du tout convaincu de l’efficacité.

Pour l’anecdote, le prix demandé était de 5 guinées, ce qui ajusté à l’inflation fait pas loin de 600 euros d’aujourd’hui… des analyses ultérieures ont montré que ces baguettes étaient en fait constituées pour l’une d’acier et l’autre de laiton. Ca fait cher la ferraille…

Décidé à démasquer la supercherie, John Haygarth eut l’idée du siècle : s’en procurer et en créer des copies factices en bois, afin d’en comparer les effets sur plusieurs patients. Pour la première fois, un placebo pur a été conçu à des fins de recherches. Sans surprise, il observa que ses baguettes de bois étaient tout aussi efficaces que le les tracteurs de perkins, démontrant l’arnaque.

Ses travaux seront publiés dans l’édition 1800 des Annales de la Médecine britannique dans un article intitulé  “De l’imagination, comme cause et comme remède des troubles du corps”, et seront alors considérés comme la première preuve solide de l’existence de ce qui s’appellera plus tard l’effet Placebo.

Mica Panis, le placebo pané

L’histoire continue en France en 1804, quand Jean-Nicolas Corvisart devint le médecin personnel de Napoléon. Celui-ci lui accordait une confiance totale, au qu’il aurait dit “je ne crois pas en la médecine, je crois en Corvisart”. Sa femme Joséphine semblait friandes de remèdes, si bien qu’il finit par fabriquer des comprimés factices à base de mie de pain, qu’il dénomma Mica Panis, pour soulager la constipation de madame. Hasard ou effet placebo, Joséphine fut soulagée et Napoléon ravi.

Rapidement, les apothicaires ont eu vent de l’affaire et se mirent à confectionner ce remède dont le nom latin signifie littéralement “miettes de pain”… et on pouvait encore se procurer du Mica Panis au début du 20e siècle

Le premier clash : l’homéopathie contre le lobby boulanger

Au début du 19e siècle, beaucoup de médecins admettaient les bénéfices apportés par les traitements homéopathiques, mais doutaient des propriétés pharmacologiques de l’homéopathie, jugeant plus plausible une action par pure puissance de l’imagination, comme on le disait à l’époque. C’était le cas d’Armand Trousseau officiant à l’Hôtel-Dieu de Paris qui voulut mettre un terme à la controverse l’opposant aux tenants de l’homéopathie.

Nous sommes en 1834 et Armand Trousseau met en place plusieurs séries de tests comparant l’évolution des patients hospitalisés soignées soit par homéopathie soit des gélules de mie de pain ou d’amidon. Il s’agit de la première étude clinique versus placebo de l’histoire en milieu hospitalier. Sa conclusion sera : « Les substances les plus inertes, telles que l’amidon, administrées homéopathiquement, c’est-à-dire en agissant sur l’imagination des malades, produisent des effets tout aussi énergiques que les médicaments homéopathiques les plus puissants. »

Ses travaux seront répliqués partout en Europe et en 1837, l’Académie médicale lui offrira un prix honorifique pour ses travaux, peut-être grâce au lobbying des meuniers et boulangers de France.

Le placebo : de la chasse aux charlatans à l’étalon de mesure

Au cours du 19e siècle, le terme placebo, en latin “je plairais”, va s’imposer pour désigner les remèdes sans effets pharmacologiques.

Le concept d’effet placebo va regrouper l’ensemble des phénomènes psychosomatiques influençant l’efficacité de tous les traitements, placebo ou actifs.

L’effet placebo est resté relativement peu étudié jusqu’aux années 1950, où les

Le placebo a pris une place de plus en plus importante dans la recherche pharmaceutique, en particulier à partir des années 1950, quand les autorités régulant la mise sur le marché des médicaments ont progressivement imposé la démonstration de l’intérêt thérapeutique des médicaments comme condition obligatoire, cette dernière qui se définissant usuellement par la différence entre la réponse placebo et celle du traitement… puisque l’effet placebo fait partie de l’effet global de tout traitement.

Aujourd’hui, près de deux siècles après la première démonstration de l’équivalence entre remèdes homéopathique et placebo, depuis répliquée des dizaines de fois, les partisans de l’homéopathie refusent toujours d’accepter ce consensus. Et pourtant, nous savons aujourd’hui qu’utilisé avec discernement et pragmatisme, les placebos peuvent apporter une réponse thérapeutique satisfaisante, parfois même préférable à celle que la médecine conventionnelle peut proposer.

Car oui, l’effet placebo recèle plein de surprises… mais ça sera pour le prochain épisode !


L’effet placebo, comment ça marche ?

L’effet placebo est un phénomène psychosomatique, c’est-à-dire provoqué par le cerveau et se manifestant dans le corps. Son influence est donc limitée à celle du cerveau, et varie selon la personne, du contexte, etc.

Il aura plus facilement un impact sur les phénomènes neurologiques et psychologiques, comme la douleur, la dépression, l’anxiété ou les insomnies. 

On peut aussi l’observer là où le cerveau peut avoir une influence indirecte, comme la nausée, l’hypertension, l’asthme ou les troubles digestifs.

En revanche, il n’aura aucune influence directe contre les maladies infectieuses, génétiques, traumatiques, cancer, etc.


Les biais de notre expérience personnelle

Notre rapport compliqué avec les médicaments

Notre intuition nous amène à lier les évènements entre eux. Quand un mal à la tête passe après avoir pris un traitement, on va spontanément attribuer le mérite à ce cachet. Notre

Par exemple, des millions de personnes ont recours occasionnellement ou régulièrement à des remèdes homéopathiques et en sont satisfaits.

Dans le même temps, deux siècles de données expérimentales permettent d’affirmer que l’homéopathie est équivalente au placebo avec une certitude comparable à celle que la terre est ronde. 

Ces deux faits ne sont pas incompatibles : les placebo ont un effet positif, significatif et bien établi sur la douleur et la dépression, mais aussi observé pour les troubles du sommeil, les nausées, l’anxiété… Il a même montré une efficacité étonnante chez les chiens épileptiques dans 3 études.

Et pourtant, la plupart des utilisateurs de l’homéopathie ne parviennent pas à accepter que l’homéopathie puisse n’être qu’un placebo, préférant parfois adhérer à des théories exotiques plutôt que se résoudre à une évidence qui n’aura aucun impact sur leur vie.

L’effet placebo dérange. Il a une odeur de mensonge, et on le perçoit souvent à tort comme un synonyme d’effet nul, ce qui n’est pas le cas. Alors repartons de zéro sur l’effet placebo.


Comment ça marche ? 

L’effet placebo est un effet psychosomatique, c’est à dire provoqué par le cerveau. On est loin d’en avoir percé tous les mystères, mais on connaît les principaux mécanismes en jeu.

Le principal mécanisme est l’anticipation de l’effet attendu du médicament. 

Dans la recherche pharmaceutique, on évalue souvent l’efficacité d’un médicament en le comparant à un placebo, copie conforme du médicament dépourvu de principe actif. Si le placebo contient la même substance neutre dans l’étude d’un antalgique et celle d’un antidépresseur, il n’aura pas d’effet antalgique dans l’étude de l’antidépresseur et vice-versa. 

Mais le pouvoir de suggestions ne peut pas expliquer l’effet placebo chez les nourrissons et les animaux.

Pourtant, 3 études ont montré que dans 7 cas sur dix, les chiens épileptiques avaient moins de crise sous placebo, avec une réduction de moitié de leur fréquence 3 fois sur 10.

On sait que l’attention reçue par le patient et sa confiance envers le soigneur ont un rôle dans l’efficacité d’un traitement. 

La différence entre placebo et effet placebo

Quand on évalue l’efficacité d’un médicament, par exemple le paracétamol pour traiter la migraine, une façon de le faire est de constituer 3 groupes homogènes de personnes migraineuses. 

Au premier groupe, on donnera des gélules contenant le vrai traitement.
Au second, on donnera des gélules identiques mais remplie d’une poudre neutre comme du sucre : c’est le placebo
Enfin, le troisième ne recevra rien du tout.

Chaque individu devra prendre la gélule à chaque crise, en on mesurera 

De nos jours, l’autorisation de mise sur le marché et le taux de remboursement d’un nouveau médicament dépend de son efficacité, mais aussi de sa balance bénéfice-risque et de son intérêt thérapeutique.

Mais ce n’est qu’en 1959 que la preuve de l’intérêt thérapeutique est devenue un critère obligatoire 

Enfin, presque : en 1965, les traitements homéopathiques ont été inscrits à la pharmacopée et leurs fabricants se sont fait octroyer un laisser-passer leur permettant de mettre sur le marché et être assuré du remboursement de n’importe quel remède sans avoir à se soucier de son efficacité… 

Ce privilège a été fortement amputé le premier janvier 2021, date à partir de laquelle les préparations homéopathiques ne sont plus remboursées. 

Chacun a son opinion concernant la réforme, on va y revenir mais avant ça il y a une question qui me saute à l’esprit : ça veut dire quoi vérifier l’intérêt thérapeutique ? Comment on le mesure ?

Ces deux positions semblent inconciliables et pourtant elles sont construites à partir du même postulat de départ : médecine et placebo ne vont pas ensemble… et pourtant,

L’usage de placebo en médecine : un tabou qui persiste

Il existe deux sortes de placébo :

  1. le placebo pur, qui est un traitement volontairement conçu pour ne pas avoir d’effet thérapeutique. Par exemple : une gélule remplie d’amidon, un sirop de sucre ou une seringue remplie de sérum physiologique.
  2. le placebo impur, qui est un traitement enfin parmi les placebo impur, le cas particulier de traitements qui peuvent être efficace dans certains contextes précis, mais sont régulièrement prescrits dans des contextes où ils sont inutiles.

Dans cette catégorie on va retrouver tous les compléments alimentaires, utiles en cas de carence avérée mais souvent prescrits sans raison, ou encore les antibiotiques quand ils sont prescrits sans qu’il y ait suspicion d’infection.

Un autre médicament qu’on ne s’attend pas à voir ici est le paracétamol. Ce traitement n’a plus à démontrer son efficacité et demeure l’antalgique le plus sûr et le mieux toléré dont on dispose.

Mais de récents travaux remettent sérieusement en cause son efficacité dans le cas des douleurs lombaires. Une revue systématique publiée en 2008 a mis en valeur le fait que qu’aucune efficacité ne ressort dans le cas des douleurs lombaires, et une étude assez solide de 2014 a observé que le paracétamol n’était pas meilleur que le placebo dans ces situations.

L’effet placebo fait partie de l’effet global d’un médicament. 

Plusieurs mécanismes peuvent induire l’effet placebo, mais les deux principaux sont liés à l’anticipation de l’effet attendu du traitement ainsi que l’attention que l’on a reçue des autres. C’est probablement ce second mécanisme qui explique l’existence d’une réponse placebo chez les nourrissons et les animaux.

Son usage naïf ou conscient et vieux comme le monde. L’exemple le plus simple est sans doute le soulagement d’un enfant à la suite d’un “bisou magique”. 

Il est principalement provoqué par le pouvoir de suggestion, mais peut être aussi induit par l’attention des autres, ce qui peut expliquer son existence chez les nourrisson et les animaux domestiques.

L’effet placebo a été démontré chez plusieurs animaux domestiques, dont le chien, le cheval et la poule. L’exemple le plus frappant porte sur le traitement des chiens épileptiques par un placebo. 3 études ont été menées, sur un total de 29 chiens. Dans 8 cas sur 10, l’administration d’un placébo a réduit significativement la fréquence des crises, et dans 3 cas sur 10 cette réduction a été supérieure à 50%.

Sources: